Croissance : nos faiblesses peuvent être des forces !

Publié dans Les Echos (édition du 17/10/201, pages idées). L’article qui suit contient quelques compléments et  graphiques supplémentaires.

Perspectives de croissance : nos faiblesses seront une force !

Les faits sont clairs : de plus de 3% entre 1995 et 2004, notre croissance a été divisée par deux depuis. Et demain ? Les optimistes pensent que la crise financière passée, la conjonction de taux bas et de technologies émergentes finiront par se traduire en croissance. A l’inverse, les pessimistes, l’économiste Gordon en tête, répondent que ces technologies ne suffiront pas à porter la croissance au niveau des décennies passées.
Les inflexions de croissance sont difficiles à prévoir : les économistes expérimentés se souviendront de la faible croissance des années 90, sans signe de reprise à l’horizon. La croissance annuelle a pourtant dépassé 3,5% de 1998 à 2000. En outre, si beaucoup citent les résultats de Gordon, peut ont noté qu’ils portent sur des données américaines, et non européennes. L’Observatoire du Long Terme s’est donc plongé dans son modèle économique pour examiner comment il s’appliquerait chez nous.
Sans débattre ici de la question de l’essoufflement de la productivité ou de l’innovation, notre situation devrait probablement se démarquer de celle prévue des Etats-Unis. En effet, pour Gordon, l’évolution du revenu médian est le produit de la productivité, du nombre d’heures travaillées, du niveau d’inégalités et de l’effet de la réduction des déficits publics. Au total, la hausse annuelle du revenu médian aux Etats-Unis passerait de 1,5% de 1970 à 2014 à seulement 0,3% de 2015 à 2040.
Or, le modèle de Gordon ne peut pas être transposé directement à la France. D’abord, sur l’emploi car nous disposons de plus de personnes pouvant se mettre à travailler (chômeurs et autres inactifs). Si la France arrivait d’ici 2040 à rejoindre les meilleurs pays européens sur ce sujet, notre revenu serait majoré de 0,7 points par an. De même pour l’effet des inégalités. La majorité des analystes estiment que la France perdra en croissance en raison d’un modèle social plus égalitaire. Ils devraient donc aussi admettre que l’écart d’évolution du revenu du citoyen médian et des plus hauts revenus sera, en conséquence, moins élevé qu’aux Etats-Unis (où le ménage médian perdrait 0,4 points par an de ce fait).
Ces corrections porteraient la hausse du revenu médian en France entre 1,2% (hausse des inégalités moitié moindre par rapport aux Etats-Unis) et 1,4% (aucune hausse) d’ici 2040. Soit un niveau proche de la période de 1970 à 2014. D’autres éléments du modèle de Gordon peuvent par ailleurs être discutés. Il n’est ainsi pas évident que les inégalités continuent à progresser comme par le passé : le débat public s’est emparé du sujet et les mécanismes d’optimisation fiscale abusifs font l’objet de démarchés mondiales telles que le groupe BEPS de l’OCDE.
De plus, la croissance passée du produit intérieur brut (PIB) a été consommatrice de ressources non renouvelables. Le produit intérieur net (PIN), corrigé notamment de l’utilisation des ressources naturelles, doit être réduit d’autant. Le monde a ainsi émis 1500 gigatonnes de CO2 dans l’atmosphère depuis 1850. Intégrer le coût environnemental de ces émissions revient à corriger la richesse mondiale chaque année d’un montant équivalent à la production de richesse française. A l’inverse, nous aurons sans doute une utilisation plus raisonnable de ces ressources à l’avenir, par nécessité si ce n’est par vertu. Notre richesse nette future en sera augmentée d’autant.
Enfin, compte tenu du niveau de vie dans notre pays, la priorité est-elle de retrouver la croissance des 30 glorieuses ? Ou plutôt de s’attaquer aux cas extrêmes de pauvreté (contre laquelle la hausse du taux d’emploi est le levier le plus puissant) ? De donner à chacun plus d’opportunités pour s’épanouir (entrepreneuriat, réduction des inégalités scolaires pour lesquelles la France est à un niveau record en Europe…) ? De compenser la perte de revenu liée à la réduction des déficits par une amélioration aussi élevée de la qualité des services publics pour limiter l’impact  sur le rapport qualité/coût ? Or rien de cela n’est hors de portée. Plus que ne le pourront les américains, nous pouvons donc rendre les prédictions de Gordon sans objet en nous attaquant à nos faiblesses.
Vincent Champain, cadre dirigeant et président de l’Observatoire du Long Terme (https://longterme.org)

PS: Quant à savoir ce que seront l’innovation et la productivité demain, c’est une question plus difficile. A ceux qui pensent que la productivité liée au numérique est derrière nous, on pourra cependant montrer le tableau suivant, qui indique les technologies les plus citées – par le passé il a constitué un indicateur avancé des vagues de croissance liées à chaque technologie (qui n’arrivent que lorsque la technologie est assez mature pour être largement adoptée, cf l’exemple de l’aviation).

À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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