La pharmacie d’officine doit évoluer pour ne pas disparaitre

Publié dans l’Opinion



Mi-juin 2016, Amazon a lancé à Paris son service « Prime
now » qui permet d’assurer une livraison en moins d’une heure. La réaction
de la Mairie de Paris, inquiète de l’impact sur le commerce de proximité de
Paris, a été immédiate. Personne n’a alors évoqué l’effet sur les pharmacies. Imaginez
le scénario : après son examen, votre médecin généraliste réalise une
prescription connectée des médicaments dont vous avez besoin. 30 minutes après,
vous voilà à votre domicile. Le temps de refermer la porte, le livreur est là
avec vos médicaments ! Vous disposerez en ligne d’informations certifiées sur
la prise des médicaments, et des capteurs connectés suivront le contenu de
votre armoire à pharmacie et les dates de péremption ou de renouvellement de
vos médicaments.
Le rôle des pharmaciens d’officine a historiquement été la
préparation des médicaments mais elle s’est réduite aujourd’hui à un rôle de
revente de produits finis, complétée d’un rôle de conseil. Or, avec internet, on
peut facilement imaginer un service aussi efficace et moins cher que les
officines. La pharmacie d’officine doit donc être réinventée, faute de quoi
elle risque à l’avenir de cesser d’apporter une valeur ajoutée suffisante au
système de santé. Elle sera alors difficile à soutenir dans le contexte d’une
hausse des dépenses d’assurance maladie plus rapide que celle du revenu des
Français.
Or le modèle économique de la pharmacie d’officine en
France est d’ores et déjà en difficulté : même s’il reste 22000
pharmacies, il s’en ferme une tous les 2 jours en France. Et ce malgré la protection
de la réglementation qui garantit aux pharmaciens le monopole de distribution
des médicaments, ou qui empêche toute consolidation en interdisant à un
pharmacien d’être majoritaire dans plus d’une pharmacie et à des non
pharmaciens d’en être actionnaires.
La situation est très différente en Amérique du nord ou
dans certains pays européens. Ainsi, Walgreens aux USA dispose de plus de 8 000
points de vente, emploie plus de 200 000 employés et a un budget supérieur à 70
milliards de dollars. Du côté Français, ce sont des officines indépendantes avec
un revenu compris entre 1 à 20 millions d’euros. Si l’on avait procédé de même
pour les épiceries, Carrefour et d’autres champions mondiaux de seraient pas
Français aujourd’hui ! Ceci n’est pas anodin dans un contexte mondialisé
dans lequel la distribution est aussi un moyen d’exporter le « made in
France ».
Personne ne croira que le déni et le maintien de la
réglementation actuelle suffiront éternellement. Les praticiens biologistes en
savent quelque chose : leurs laboratoires appartiennent désormais à de
grands groupes dont les biologistes sont devenus des salariés. Voulons-nous
qu’après-demain ces groupes soient tous étrangers ? Si nous voulons
l’éviter, la première décision serait de laisser nos futurs champions se
développer, en autorisant la consolidation des officines sous l’égide de
pharmaciens, le temps de former 3 à 4 champions nationaux. Cela avant de les
ouvrir à la concurrence internationale, et tout en respectant une éthique
française qui interdit la publicité, laisse l’Etat fixer le prix du
médicament, et préserve son indépendance par rapport à l’industrie.
L’autre mouvement
consisterait à faciliter l’extension des activités dites « médicales ».
Un pharmacien est en effet un doctorant tout à fait apte à réaliser certains
soins – par exemple certaines vaccinations de l’adulte (DTP ou grippe). Les pays
qui l’ont tenté ont pu augmenter la couverture vaccinale sans altérer la
qualité des soins. La prise en charge de certaines maladies chroniques pourrait
également être réalisée par des pharmaciens, notamment dans les zones souffrant
de pénurie médecins.

Ces pistes ne sont
que deux exemples parmi l’ensemble des activités que les pharmaciens pourraient
apporter au système de santé en remplacement de celles qui risquent fort demain
d’être réalisées autrement. Nous priver de cette réflexion, c’est peut-être
donner l’impression de protéger la pharmacie aujourd’hui, mais c’est la
condamner demain. Or ni les patients, qui pourraient bénéficier de soins
supplémentaires, ni les pharmaciens, dont la qualification est insuffisamment
valorisée, n’y ont intérêt.

Pr Mehdi Mejdoubi
(médecin) et Dr Paul Coquet (pharmacien) pour l’Observatoire du Long Terme.
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

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