Des médicaments vingt-cinq fois plus efficaces ?

Publié dans La Tribune 
Beaucoup d’entre nous ont une vision totalement
déterministe de la médecine : une maladie clairement définie, un
diagnostic qui permet de la déterminer de façon certaine puis un traitement qui
va la guérir. Mais la réalité est très différente. Pour être mises sur le
marché, les thérapies doivent certes avoir une efficacité démontrée « en
moyenne ». Mais cette efficacité n’est pas forcément acquise pour chacun
ni exempte d’effets secondaires. Ainsi, une étude[1] des 10 médicaments les
plus vendus aux Etats-Unis ne constate un effet optimal que pour un patient sur
4 à 25, l’efficacité pouvant être faible pour les autres. C’est
particulièrement vrai pour les anticancéreux qui n’ont d’effet qu’environ une fois
sur deux, alors que les effets indésirables sont plus systématiques. On essaye
un traitement. Si l’effet escompté n’est pas là, on en essaye un autre.

Ne sachant pas à l’avance dans quels cas ils sont
efficaces, il reste utile d’administrer ces médicaments. En revanche, les
traitements seraient infiniment plus efficaces si l’on pouvait savoir celui qui
sera efficace pour un type de patient, afin d’appliquer dès le début la
thérapie appropriée. Mieux connaître les facteurs de succès d’un traitement
permettrait de mieux cibler les patients, de réduire les effets indésirables et
d’engendrer des économies tout en soignant mieux cancers, diabète, maladie
d’Alzheimer, asthme, …

C’est exactement ce que la médecine personnalisée est en
train de réaliser. Passer d’une médecine « prêt à porter » à une
médecine « sur mesure », avec des traitements adaptés aux
caractéristiques des patients et de leur maladie. Entre le diagnostic de la
pathologie et l’administration du traitement, on réalise un test (analyse des
cellules voir séquençage de l’ADN) qui permet de caractériser le profil des
patients. La première thérapie ciblée, le Trastuzumab, a été mise sur le marché
il y a près de vingt ans. Elle cible les femmes atteintes d’un cancer du sein présentant
une altération du gène HER2, ce qui permet d’éviter d’administrer un médicament
à des patientes pour lesquelles il serait inefficace.

Certes, nous n’en sommes pas au ciblage efficace à 100%
et il faudra encore du temps, probablement plus d’une décennie, et des
milliards d’investissement pour y arriver. Mais dans un futur proche, les
progrès du séquençage du génome associés à la bio-informatique et à l’analyse
des données médicales vont permettre le développement de thérapies ciblées sur
un nombre croissant de patients.

Pour cela, le rôle des données médicales va évoluer. La
façon dont le système de santé et les industriels partagent leurs données devra
également évoluer. Auparavant il s’agissait de réaliser des études pour
prouver l’efficacité du médicament et d’en suivre les effets indésirables.
Demain, les effets d’un médicament pourront être rapprochés avec le profil
génétique des patients et les caractéristiques de leur environnement
(alimentation, expositions…). Cela permettra d’améliorer de façon continue les
traitements, de mieux maîtriser leurs effets et d’accélérer l’arrivée sur le
marché de nouveaux médicaments. Les modèles d’enregistrement et de
remboursement des médicaments  évolueront vers un paiement au résultat
plutôt qu’au médicament consommé. En identifiant plus précisément les critères
qui conduisent au développement d’une maladie, on pourra en effet à la fois
mieux prévenir et mieux guérir. La notion de soin s’étendra à la prise en
charge personnalisée de sujets comme l’hygiène de vie, le régime alimentaire ou
la gestion du stress.

Les industriels de la santé investissent déjà massivement
dans les médicaments de demain. Faute d’un cadre de remboursement, les
politiques de prévention restent sous-développées. A terme le système public
de santé devra soit augmenter significativement les moyens alloués à la prévention,
soit déléguer largement cette tâche au privé. Par exemple en mettant en place
des paiements à la pathologie, incluant la prévention, les médicaments et les
actions assurant de leur bonne utilisation.

Les acteurs privés seront alors payés sur l’amélioration
de l’état de santé, plutôt qu’en fonction de la croissance des ventes de médicaments
ou du nombre d’actes. Patients, professionnels de la santé, industriels et assurance
maladie ont tout à y gagner.


[1] http://go.nature.com/4dr78f
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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