Article publié ce jour dans Les Echos avec Fabrice Heyries.
Pendant la crise, l’avenir continue !
La crise appelle des réponses immédiates en matière sociale et économique. Mais elle est surtout le symptôme d’une surdose de court-termisme : avoir cru que les entreprises ou l’immobilier pourraient rapporter durablement 15 % avec une croissance de 3 %. Avoir cru que les déficits publics pouvaient durablement s’accumuler sans que les prêteurs s’en soucient. Pour sortir définitivement de la crise, c’est cette logique qu’il faut inverser.
Il fut un temps où les décisions de court terme étaient prises en regardant le long terme, plutôt que l’inverse. Où le Commissariat au Plan faisait partie des institutions qui pesaient le plus et où les travaux qu’il dirigeait fixaient un cap. Entre ceux qui voient dans l’Etat la source de tous les maux et ceux qui y voient la solution de tous les problèmes, on perçoit désormais difficilement une réelle stratégie partant d’un diagnostic sans complaisance des faits pour en déduire des propositions réalistes et bouclant l’équation budgétaire.
Nous sommes arrivés au curieux paradoxe dans lequel les multinationales, censées être instrumentalisées par des fonds de pension court-termistes, pratiquent régulièrement des revues stratégiques, alors que l’Etat, supposé incarner le long terme, s’en est privé. Pourtant, les faits sont là : une étude de 2007 de la « Harvard Business Review » confirme le lien vertueux qui lie la compétitivité d’un pays aux moyens consacrés à son avenir (recherche, éducation, investissements, etc.). Et les travaux de la commission du grand emprunt ont montré que la France s’appauvrit autant par des dépenses de fonctionnement excessives qu’en sous-investissant.
Pourquoi la décision publique fait-elle aussi peu de cas du long terme ? La première raison est méthodologique : les coûts se lisent facilement dans les comptes, l’impact futur se lit péniblement dans des prévisions contradictoires. Prenons le cas de l’aide aux démunis : la détresse des personnes est visible et le coût des mesures qui y répondent à court terme est mesurable. Mais on ne s’est donné que peu de moyens pour identifier et évaluer les mesures permettant de sortir de cette situation. La réponse à cette objection est claire : plus de moyens à l’évaluation des effets à court et à long terme des politiques publiques pour aller « au-delà des comptes ».
L’autre raison est institutionnelle. Les politiques doivent répondre aux problèmes immédiats, mais sont peu questionnés sur l’impact à long terme. Ainsi, chacun reconnaîtra la nécessité de traiter la situation des déserts médicaux et d’assurer la présence de médecins sur l’ensemble du territoire. Y parvenir suppose des décisions difficiles : les perdants auront accès à tous les médias, alors que les gagnants à long terme s’ignoreront. Et il n’y a pas d’institution ou de « parti du long terme » qui ferait de cette masse silencieuse son coeur de cible et bien peu de débats sur ces questions.
Regardons l’exemple du Danemark, qui a mis en place un Conseil de la mondialisation, composé d’experts de toutes nationalités, qui a mené des travaux visant à prendre les décisions permettant au pays de tirer le meilleur parti possible de la mondialisation, dans un climat de débat public ouvert et largement apolitique. Ces travaux ont ensuite permis d’orienter une stratégie vers l’économie de la connaissance, l’innovation et l’entrepreneuriat.
Que faut-il à la France pour en faire de même ? D’abord, un diagnostic non partisan et régulier des enjeux, forces, faiblesses, opportunités et menaces pour notre pays à moyen et à long terme, idéalement publié avant l’élection présidentielle -comme le furent les travaux du rapport « France 2025 : un diagnostic stratégique » ou ceux du Conseil d’orientation des retraites. Ensuite, un débat politique qui permette de choisir des priorités et la personne qui les mettra en place. Après les élections, une commission similaire à ce que fut la commission Attali, qui détaille un plan d’action de mandat, accompagné d’une revue des politiques publiques pour réaliser les redéploiements nécessaires pour financer les priorités. En parallèle, il faut un vrai débat sur les questions de long terme. Il passe par la mobilisation de la société civile, c’est-à-dire chacun d’entre nous. Le débat sur le chiffrage est un premier pas qui ne demande qu’à être dépassé.
Il faut en résumé plus de vrais débats sur ce qui relève des choix politiques et moins de faux débats sur ce qui n’en relève pas, comme l’état des lieux ou la performance réelle des politiques publiques. Car les faits sont têtus : on ne les ignore à court terme qu’au prix de la préparation des crises de demain. L’observatoire du long terme se fera donc une mission de les rappeler.
Vincent Champain, économiste, et Fabrice Heyries, directeur du développement durable de Groupama, animent l’observatoire du long terme de l’Institut de l’entreprise (observatoire@longterme.net)