Du virus de la dette à la dette du virus

Publié dans l’Opinion le 7 avril.

Du virus de la dette
à la dette du virus
Face à un virus mal connu,
fortement contagieux et d’une mortalité significative, notamment aux âges les
plus élevés, une seule décision s’imposait : bloquer la progression le
plus rapidement possible. Et il en coûtera : d’un côté, un nombre de victimes
qui pourrait atteindre 10.000, et de l’autre un coût final estimé à au moins 3
milliards par jour de confinement. Personne ne plaidera évidemment pour réduire le
second s’il  y a un risque d’augmenter le
premier. Pourtant tous les pays sont régulièrement soumis à ce type de choix quand
ils décident de réaliser ou non certaines dépenses de prévention, d’équipement
de sécurité ou d’investissement dans le système de santé. Ils le font alors en
fonction de critères multiples, dont l’efficacité de ces dépenses à réduire la
mortalité. Ce sont des décisions difficiles et complexes. Pour en donner une
vision simplifiée, on peut les résumer en un chiffre : la valeur statistique de la vie (VSL). En France ce montant est estimé entre 2 et 3
millions d’euros. Cela signifie notamment que si l’on choisit de dépenser
largement plus que ce montant pour sauver une vie, alors le bilan humain sera
négatif car nous refusons par ailleurs des investissements qui permettraient de
sauver une vie pour un peu plus que la VSL.
Plus nous aurons jugulé durablement
le nombre de décès, plus nous devrons nous interroger sur des modalités de
confinement d’un coût plus modéré, entre le confinement physique (dont l’efficacité
a été éprouvée à chaque pandémie ), le confinement numérique expérimenté sous
différentes formes (dont toutes ne sont pas transposables chez nous), et les
mesures permettant de limiter les risques d’un déconfinement partiel (maintien
pour les populations les plus à risque, limitation du nombre de salariés
présents simultanément, lissage des pointes dans les transports en commun). Car
le confinement strict aura un coût considérable – les estimations l’évaluent actuellement
jusqu’à 10% du produit intérieur brut (plus de 200 milliards).
Comme pour toute mesure coûteuse,
on commence à assister au concours Lépine des idées pour la financer : taxe
sur la richesse, sur les étrangers, sur la pollution ou mobilisation de la
solidarité européenne (aussi séduisante pour les pays aux finances publiques
dégradées qu’elle est rejetée par les autres).  Les propositions les plus sophistiquées reposent
des mécanismes complexes à la fois budgétaires, monétaires et fiscaux pour
lesquels l’identité de ceux qui en seront les payeurs est moins visible. Pour
ce dernier type de cas, les français peuvent appliquer le conseil donné
aux  joueurs de poker débutants : always
look for the fool. If you can’t find him, it is you. S’agissant des mesures
visant à rendre la fiscalité plus écologique, plus efficace, plus juste ou à  réduire la fraude, elles sont évidemment
bienvenues – coronavirus ou pas. Mais il est illusoire de penser y trouver subitement
200 milliards. De la même façon, il est difficile de comprendre pourquoi les
90% de notre dette qui existaient avant cette crise devaient être gérés d’une
façon différente de la nouvelle dette liée à cette crise.
Le débat sur nos finances
publiques a longtemps été marqué par des efforts pour nous débarrasser du virus
de la dette. Nous aurons désormais également à assumer la dette du virus. Mais
les mécanismes pour réduire sa charge sont déjà connus : toute dette est
payée soit par les contribuables ou les bénéficiaires des services publics d’aujourd’hui
ou de demain, soit sous forme d’inflation par les ménages, soit encore, si elle
est répudiée, par les épargnants et par ceux qui auront besoin de s’endetter juste
après.
Vincent Champain, président de l’Observatoire du Long Terme, think tank dédié aux enjeux de
long terme (https://longterme.org).
À propos

Dédié à l'analyse des questions économiques, sociales et environnementales de long terme, L'Observatoire du Long Terme se fixe pour objectif de donner davantage de visibilité à ces enjeux dans le débat public. Dans ce contexte, il donne la parole à des contributeurs variés, avec pour seul critère le caractère étayé des arguments présentés.

L'Observatoire est indépendant, ne reçoit aucune aide financière et repose sur le volontariat de ses contributeurs, de son bureau, présidé par Vincent Champain et Bruno Fuchs.

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